24 juin 2024

Informer les publics éloignés des médias traditionnels sur l’environnement

L'actualité politique en témoigne : il est crucial de transmettre à toute la population les informations essentielles sur les bouleversements climatiques et environnementaux en cours, même lorsque ces publics ont d'autres préoccupations, se sentent abandonnés ou éprouvent de la colère. Mais comment y parvenir ? En adaptant le discours, en le simplifiant, en l'illustrant par des exemples concrets, et en ajustant les canaux de communication et les émetteurs de ces messages en fonction du public. Cette réflexion était au cœur de l'une des tables rondes de nos Rencontres annuelles 2024.

La table ronde en bref

Intervenants :
– Amélie Deloffre, consultante et associée de Parlons Climat
– Sophie Merle, rédactrice en chef digitale de M6
– Sanaa Saitouli, co-fondatrice de Banlieues Climat
Animation :
– Sophie Roland, journaliste et formatrice de journalistes.

Dans une société fragmentée où les canaux d’information sont de plus en plus diversifiés, comprendre les attentes de son public est plus nécessaire que jamais pour une communication efficace. D’où l’intérêt de cette étude de l’association Parlons Climat qui lève le voile sur les “Laissés pour compte”, une population représentant 25% de la population française, souvent oubliée des discours écologiques. Qui sont ces Français ? Quel est leur rapport à l’environnement et à l’information ? “Ils sont âgés de 35 à 60 ans, répond Amélie Deloffre. Ce sont plutôt des femmes, souvent divorcées, monoparentales, habitant dans des zones péri-urbaines ou rurales, et confrontées à des difficultés économiques. Avec des niveaux d’éducation et de revenus inférieurs à la moyenne nationale, les Laissés pour compte se sentent marginalisés par le système et les injonctions écologiques « d’en haut ».” Malgré leur pragmatisme écologique au quotidien, ils sont pessimistes et ressentent un fort sentiment de déclassement. “Oubliés du système, les Laissés pour compte ont le sentiment qu’ils vont encore l’être de la transition écologique. Pour les mobiliser, il est donc essentiel d’adapter les discours écologiques en les reliant à des aspects économiques et de pouvoir d’achat, à des solutions locales, en évoquant des problématiques liées à la santé, tout en évitant la culpabilisation”, a rappelé Amélie Deloffre. Comme de nombreux Français, les Laissés pour compte s’informent de moins en moins via les médias traditionnels. Leur défiance croît vis-à-vis des journalistes, mais les journaux télévisés et les chaînes d’information en continu restent malgré tout leur première source d’information.

Des exemples et des mots simples pour une information pédagogique

Sophie Merle, rédactrice en chef digitale de M6, l’a d’ailleurs confirmé : cette catégorie des Laissés pour compte constitue vraisemblablement une part significative du public de la chaîne. “Depuis plusieurs mois, nous avons multiplié les formats qui parlent d’environnement à nos audiences, notamment à travers les reportages de notre rubrique Planète responsable. Mais avec un impératif : en utilisant des mots simples, imagés, en restant sur du quotidien et du concret”. À travers plusieurs exemples d’interviews vidéo, Sophie Merle a montré à quel point le journaliste peut aider le chercheur à faire passer ses messages, même quand ils sont très techniques, dans un partenariat “gagnant-gagnant”. Des formats pédagogiques qui rencontrent un vif succès sur les réseaux sociaux de la chaîne.

Former des jeunes formateurs des quartiers populaires

Co-fondatrice de l’association Banlieues Climat, Sanaa Saitouli est en contact quotidien avec des jeunes des quartiers populaires pour qui l’information passe avant tout par les proches. Banlieues Climat s’est créée avec l’objectif de (re)donner à ces publics l’accès à un savoir académique, scientifique, dont ils ont été dépossédés, afin de reprendre leur pouvoir économique, politique et social. L’association œuvre pour sensibiliser la jeunesse des quartiers aux enjeux climatiques et leur donner les moyens de se former par eux-mêmes. “Nous avons créé une formation à la transition écologique de 9 heures avec l’aide de scientifiques du GIEC. Cette formation est désormais reconnue par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ce qui est une immense source de fierté pour des jeunes qui se sentent souvent les oubliés des discours sur le changement climatique”, a affirmé Sanaa Saitouli. La formation met l’accent sur les conséquences concrètes des dérèglements climatiques, de l’effondrement de la biodiversité sur la santé et la vie quotidienne. “Une fois formés, ces jeunes vont à leur tour transmettre, sensibiliser les autres personnes de leur quartier pour qu’ils deviennent des acteurs clés de la transition écologique. Pour les jeunes des quartiers, il est essentiel d’être formés par des jeunes qui leur ressemblent. La question de la représentation est très importante : il faut que les personnes qui sont les premières victimes de la crise écologique puissent d’abord s’exprimer elles-mêmes”. L’association ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : d’ici fin 2024, Banlieues Climat ouvrira sa propre école de la transition à Saint-Ouen. Des scientifiques du réseau informel d’Expertises Climat pourraient d’ailleurs y intervenir ponctuellement.

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