ClimaMeter, une méthode pour analyser rapidement les causes climatiques des épisodes météo extrêmes
La méthode ClimaMeter permet de savoir rapidement et précisément si un événement météorologique extrême est dû à la variabilité naturelle du climat ou à l’influence des activités humaines. Davide Faranda, directeur de recherche CNRS au laboratoire LSCE de l’université Paris-Saclay et membre du réseau d’Expertises Climat, est l’un de ses fondateurs. Il détaille son fonctionnement.
Pourquoi avez-vous créé ClimaMeter ?
Je fais partie des climatologues spécialistes de cette science de l’“attribution” qui vise à établir un lien probabiliste, une relation entre le changement climatique et un événement météorologique extrême. Nous sommes de plus en plus sollicités par les médias pour expliquer pourquoi les épisodes extrêmes se multiplient et s’intensifient. Pour leur répondre, nous ne disposions jusque-là que des publications du World Weather Attribution (WWA) mais leur mise au point demande du temps. La force de ClimaMeter réside dans sa méthodologie reproductible, qui a fait l’objet d’une publication scientifique. Elle s’appuie sur des données historiques et non sur des modèles, ce qui permet une analyse et une diffusion très rapides des causes d’un événement extrême.
Comment a été mise au point cette méthodologie ?
La méthode de calcul ClimaMeter a été conçue avec des scientifiques de l’Institut Pierre-Simon Laplace et plusieurs équipes de recherche internationales avec qui nous collaborons dans le cadre de projets européens. Nous l’avons lancée fin août 2023 avec l’analyse de la vague de chaleur qui a frappé le Sud de l’Europe, notamment la Sicile, où j’ai grandi, et la Grèce. Depuis, nous avons publié des études sur d’autres épisodes extrêmes dont la tempête Daniel qui a frappé la Libye début septembre ou les pluies torrentielles de fin septembre à New-York. Concrètement, nous recherchons les conditions météorologiques similaires à celles qui ont causé l’événement extrême que nous souhaitons étudier dans les données satellitaires météorologiques de 1979 à 2000 pour les comparer à celles de 2021-2022. Nous souhaitons ainsi déterminer si les changements sont probablement dûs à la variabilité naturelle du climat ou au changement climatique anthropique. Nous pouvons ainsi proposer une mise en perspective immédiate, facilement compréhensible, de cet événement extrême puis une analyse technique, plus approfondie, peu de temps après.
Quels sont les autres points de différenciation avec la méthode du WWA ?
L’approche utilisée par le WWA considère une variable, par exemple la température, et observe quelle est la probabilité, la fréquence d’occurrence de cette variable dans un monde avec et sans l’augmentation des gaz à effet de serre. C’est une approche essentiellement statistique. Or, c’est très important de considérer aussi l’origine d’un phénomène météorologique pour déterminer si c’est le changement climatique qui en est la cause ou qui en augmente l’intensité. L’origine d’un phénomène extrême peut être différente selon la saison, la zone géographique, les conditions atmosphériques… Au printemps 2023, nous avons travaillé avec le WWA sur l’attribution des pluies extrêmes qui ont frappé l’Emilie-Romagne, la région de Bologne, au Nord de l’Italie. Nous nous sommes rendus compte que si on se basait sur leur approche en ne prenant en compte que les précipitations moyennes dans cette région sans intégrer le fait que ces pluies n’étaient pas liées à des orages mais à un cyclone méditerranéen, nous ne pouvions pas identifier le rôle du changement climatique. C’est alors que nous avons réfléchi à un modèle alternatif.
Pourquoi insistez-vous autant dans vos analyses sur le rôle de la variabilité naturelle du climat?
Cela nous permet de raconter une histoire qui n’est ni noire, ni blanche. Il y a du gris. C’est très important pour répondre aux attaques des climato-sceptiques qui disent que tout n’est pas changement climatique. Oui, effectivement, il y a toujours eu des vagues de chaleur, des orages violents, des tempêtes, mais avec ClimaMeter, on est capables de quantifier ce que le changement climatique ajoute à la variabilité naturelle du climat pour chaque événement météorologique extrême. Cette approche nous a valu des commentaires assez positifs, y compris sur X – anciennement Twitter – car cette communication est perçue comme honnête et transparente.
Quels types d’analyse proposent les études de ClimaMeter ?
Nous proposons trois types d’analyse : une analyse du cadre météorologique qui a causé l’événement, une analyse du cadre scientifique qui précise quelle est la classe de l’événement étudié, à partir des travaux du GIEC ou de la littérature scientifique récente, et enfin une analyse qui met en évidence le rôle du changement climatique lié aux activités humaines et celui de la variabilité naturelle. Avec ClimaMeter, nous obtenons des informations très détaillées et assez précises, y compris au niveau des territoires et des villes. Prenez l’épisode cévenol de septembre 2023. L’analyse de ClimaMeter a permis de montrer que les tempêtes associées à cet épisode étaient moins intenses du point de vue des centres de basse pression – il a donc provoqué moins de précipitations sur le Portugal -, mais qu’il a causé plus de précipitations sur les Cévennes, à cause des températures plus chaudes de la mer Méditerranée.
Comment les médias accueillent-ils vos analyses ?
A chaque publication, nous sommes beaucoup repris par les médias en Europe et à l’international. En réalité, ClimaMeter est un outil qui a été co-construit avec les médias. Les retours des journalistes nous ont permis de simplifier les rapports que nous publions sur notre site. Ils nous ont aidés à trouver les bons mots, à reformuler des termes qui étaient trop techniques.
Quelles sont les perspectives futures d’un outil comme ClimaMeter ? L’attribution aura-t-elle encore un sens dans quelques années quand le rôle du réchauffement climatique lié aux activités humaines sera bien établi ?
Il y a trois ans, on parlait d’attribution uniquement pour les vagues de chaleur, aujourd’hui on étudie des événements plus complexes comme des orages, des tempêtes. La science de l’attribution va évoluer dans les années à venir et les outils comme ClimaMeter auront toujours leur place, car dans cinq à dix ans, nous pourrons observer encore plus finement les effets du changement climatique et faire plus de comparaisons. Nous pensons que la méthode ClimaMeter permettra d’analyser les impacts du changement climatique selon les territoires, de mieux les prévenir, de mieux évaluer les dégâts humains ou matériels d’événements extrêmes. De ce point de vue, elle sera un outil précieux d’analyse et de prévention des risques pour les décideurs comme pour les acteurs économiques.
En savoir plus : https://www.climameter.org/home