L'artiste plasticienne Julie Everaert. Elle mène des recherches en arts et sciences au laboratoire d’hydrodynamique de l’école Polytechnique.
Célia Gautier
L'artiste plasticienne Julie Everaert lors de l'École des Houches. Elle mène des recherches en arts et sciences au laboratoire d’hydrodynamique de l’école Polytechnique.

Ce que la science ne peut dire seule : le rôle de l’art dans la transition écologique

Souvent perçus comme deux disciplines opposées — l’une rationnelle, l’autre sensible — l’art et la science entretiennent pourtant des liens profonds et anciens. Leur dialogue ouvre des voies nouvelles pour comprendre les enjeux de notre époque, notamment ceux liés aux crises écologiques. Envisager la collaboration entre artistes et scientifiques, c’est interroger les manières de produire, de transmettre et de transformer les savoirs.

En période de bouleversements écologiques, il ne suffit plus de comprendre le monde, encore faut-il apprendre à le ressentir autrement. C’est là que la collaboration entre artistes et scientifiques apparaît comme une stratégie essentielle. La science produit des faits, des rapports, des alertes. Mais sans récits, sans émotions et sans symboles, ces alertes peinent à se frayer un chemin jusqu’aux consciences.

Les programmes de résidences d’artistes en laboratoire, les ateliers transdisciplinaires ou les festivals d’art-science se multiplient. L’école d’Hiver des Houches, à laquelle Expertises Climat a participé, en est un parfait exemple. D’autres initiatives comme le BioArt ou le Data art fleurissent. Certains scientifiques collaborent aussi avec des musiciens pour “faire entendre” l’évolution des températures ou la fonte des glaciers, transformant les séries statistiques en compositions sonores.

Les retours d’expériences de ces travaux de collaborations sont témoins de leur succès et confirment la nécessité de produire des langages multiples.

Des liens poreux, théorisés par Bruno Latour
Bruno Latour, figure majeure des sciences sociales, a profondément contribué à renouveler notre compréhension des relations entre science, art et politique. Dans De l’art pour faire de la science, il propose une réflexion sur les rapports qui se tissent entre les récits dits “scientifiques” et ceux dits “fictifs”. Pour ce philosophe, l’art et la science entretiennent depuis longtemps des rapports profonds et durables. Il l’explique simplement : « Comment les astronomes de l’époque auraient-ils pu commencer à peupler le monde qu’ils découvraient sans recourir aux ressources du récit de voyage ? ».

Dans d’autres ouvrages, il défend un idéal dans lequel artistes et scientifiques se réunissent autour de questions communes : comment habiter la Terre ? Comment raconter autrement notre inscription dans le vivant ?

Une crise des représentations
La crise écologique n’est pas seulement une crise des systèmes naturels, c’est aussi une crise des représentations. Comment imaginer d’autres futurs si les récits dominants restent ceux de la croissance, de la séparation homme/nature, de la maîtrise technologique ?

Les collaborations évoquées plus haut permettent de faire sentir ce que les rapports du GIEC démontrent, et c’est cette double approche qui, aujourd’hui, devient stratégique.

La prise de conscience ne garantit pas le passage à l’action, mais c’est le point de départ de tout changement. C’est pour cela que, chez Expertises Climat, nous croyons que ce croisement entre arts et science est essentiel. Non pour enjoliver la réalité, mais pour mieux l’incarner. Pour faire face à la crise écologique, il ne suffit pas de savoir. Il faut aussi sentir, imaginer, relier.